Les médias sont des victimes de Macron | Daniel Schneidermann

Dans un article1 publié sur Libération, Daniel Schneidermann utilise son image de critique et d'analyste des médias, pour prendre la défense de toute la médiacratie. De cette médiacratie qui a succombé à la macronite et qui aujourd'hui s'étonne et se scandalise du peu de reconnaissance du nouveau locataire de l'Élysée, alias Jupiter. C'est donc une imposture que je vous narre ici.

Préparation de la dinde

Dans la première partie de son article, Daniel Schneidermann met un peu d’insolence pour brosser dans le sens du poil son auditoire. Il s’adresse aux lecteurs de Libération, ou plutôt à l’idée qu’il s’en fait, à savoir, ces lecteurs considèrent les hommes et femmes politiques comme des punching-ball — l'argument est tellement peu clivant, que ça simple présence prouve que Daniel drague large, c'est donc un article qui s'adresse au plus grand nombre. Schneidermann moque Macron d'entrée pour vendre son papier, allusion à l'annulation de l'interview du 14 juillet, partons du principe que Macron pense complexe. Entendez : qu’il pense loin, qu’il pense dialectique, que dans les replis forcément supérieurs de son cerveau se conçoit une vision stratégique. Que cette vision lui dicte des priorités échappant aux simples mortels.

Avec cette connivence toute fabriquée, le lecteur s'amuse, trouve Schneidermann fin et subtil, constate (quelle surprise) qu’il est du même avis que lui, et conclut que lui aussi est fin et subtil. Sens du poil, pommade dans le dos, passe moi la vaseline, le client est prêt.

Vous savez quoi, Macron est un pervers narcissique !

Puis dans la seconde partie de l’article, l’auteur s’étonne du rapport aux médias de Macron… Voilà un candidat qui, depuis l’origine, a été fêté, porté, par l’enthousiasme médiatique. Qui a bénéficié, non seulement d’un nombre sans équivalent de couvertures de magazines, mais aussi d’un soutien idéologique sans faille, avant et après le premier tour. Son public conquis, il ferme le deal, s’il y a eu un "candidat des médias", à l’oral, à l’écrit et à l’image, c’est bien lui. Le lecteur jubile — comblé, que dis-je ? Repus par tant de vérités lucides.

Et pourtant malgré tout ce qui vient d’être dit ci-dessus, l’infame, le goujat, le scélérat Macron ne serait pas reconnaissant, il ne donnerait pas le moindre petit vermisseau aux gentils médias. Nan. Alors que notre critique médiatique des médias, s’étonne à voix haute du manque de gratitude de Macron, nous reviennent alors en tête, pas forcément dans l’ordre, quelques uns des nombreux articles qui s’en étonnaient également…

  • Jupiter déciderait de tout et même du droit de vie ou de mort sur certains journalistes qui seraient sélectionnés ou pas par l’Autorité suprême, pour monter dans son avion Barbie® lors de ses déplacements internationaux.
  • Jupiter toujours, décide de supprimer le traditionnelle-interview-du-14-Juillet, d’un quasi-revers de la main, genre pouce pointé vers le bas.
  • Jupiter encore a fait attendre les journalistes, dehors, dans la chaleur de l’été, sans petits fours et sans accès aux toilettes (c’est vraiment monstrueux) pour la passation de pouvoir qui devait durer 30 minutes et qui a duré presque une heure, ce type ne respecte rien.
  • Jupiter les a même obligés à attendre encore et toujours pour leur révéler, mais seulement quand bon lui chante, le nom du Premier ministre.
  • Puis scandale encore, quand à la demande de Jupiter (forcément) le Premier ministre a annoncé, une fois de plus avec du retard les noms des ministres… Moui, c’est ça, avec du retard, là encore.

Et je passe sur la toute nouvelle rareté de la parole présidentielle, imposée à tous, d’en haut, quelle audace. As-tu réalisé, ami lecteur, qu’il n’y a même plus de off ! Mais comment va vivre la profession de journaliste — sinistrée — par ce tirant ?

Tempête dans un verre d’eau

Du coup, ils ne se sont pas laissés faire les journalistes, à ça non ! Ils ont publié une lettre ouverte2. On nous glisse qu’ils sont une quinzaine de rédactions à l’avoir fait, c’est énorme, nous ne savons pas s’il s’agit des chiffres de la préfecture. Bref, la profession cri au loup, et… Schneidermann cri au loup avec la profession, c’est un cri de ralliement a la confrérie des journalistes, dans l'adversité il se sent solidaire.

Ce faisant, Schneidermann participe lui aussi de cette mascarade. Mon champion, mon modèle.

Macron (le Président de la République de la cinquième puissance mondiale, je le rappelle à ceux qui ne suivent pas) ne doit absolument rien aux journalistes — et ils le savent tous parfaitement, leurs cris d’orfraie sont déjà une imposture.

Effectivement, il ne doit assurément rien à tous ceux qui l’ont soutenu parce qu’ils ont les mêmes idées que lui. Il ne doit rien non plus à tous les autres, que leurs patrons ont encouragés à le soutenir. Ces derniers doivent s'estimer heureux de garder leur poste, la niche et le collier étrangleur qui va avec.

Le cinéma auquel se livre la presse soi-disant libre, consistant à faire croire que Macron décide et que c’est anormal, n’a rien de nouveau. Pour Reporters sans frontières, la France arrive à la 39e position du classement mondial de la liberté de la presse 20173. Les raisons de cette rébellion de façade sont ailleurs. Magnifique pétard mouillé en tout cas.

La main dans le sac, ils continent à nier

En fait, la profession crie au loup pour l'unique raison qu’il est urgent, voire vital de faire disparaître le goût amer encore présent dans la gorge de beaucoup d'entre nous. Ceux qui, en grand nombre, n’ont pas pu éviter de constater que tous les médias ou presque ont fait campagne pour Macron. Macron l'innocent, qui serait parti de rien, avec juste son p'tit couteau (comme veut nous le faire avaler Franz-Olivier Giesbert). L'inconnu qui a été élu, avec un programme ectoplasmisque.

Le goût vraiment amer de cette campagne, exclusivement pour Macron au détriment de tous les autres. Les autres que ces mêmes médias n'ont pas hésité à esquinter, à grands coups de calomnies, à grands coups parfois très bas. Comme ci-dessous, la journaliste Ariane Chemin, qui évoque l'enterrement d'un proche de Jean-Luc Mélenchon. L'atterrant passage se donne à lire dans les pages du bouvril M, le magazine du Monde daté du 27 mai 2017. Vous aimez le sang, en voilà :

Le rituel a été calé à l’hôpital par Jean-Luc Mélenchon et le défunt. Cette marche en rang est riche de sens : transmission, solidarité. Pour certains dans la foule, elle signe aussi au grand jour un « groupe sectaire » – « tous les codes pour maintenir un clan homogène et très radicalisé », suggère un membre de l’assistance d’alors, aujourd’hui encore un peu glacé. Ariane.Chemin

Dès le lendemain de l’élection, dès le lendemain du premier tour, l’immense majorité de la médiacratie a exposé en boucle l’invraisemblance et l’improbabilité de cette élection, puis l’a expliqué par tous les moyens possibles et imaginables, à grands coups de justifications plurielles, mais en se gardant bien d’évoquer la plus massive, la plus essentielle, la seule qui vaille, à savoir, l’action médiatique dont Macron était le sujet.

Dans les semaines qui ont suivies, il devenait primordial d’effacer toutes les traces de sang sur les poignards, toutes traces de cette colossale collision Médias/Macron. Je vous l'assure, ces semblants de reproches à Jupiter remplissent ce rôle.

Fonctionnement du bidule

Premier effets Kiss Cool : Macron est valorisé, car on affirme qu’il a du pouvoir sur les médias, sur ce pouvoir qu'on nous assure pourtant totalement libre. Immédiatement les médias, qui ne remarquent pas le contre-sens, se posent en victime du pouvoir de Macron, qu’ils prétendent excessif. Ceci alors même que dans la vraie vie, l'action de Macron repose presque exclusivement sur de la communication bien communicante. Si les grands médias lui résistent, il va faire quoi Macron, des publireportages dans les magazines ? Le seul pouvoir que Macron a sur les médias, c'est celui que ces derniers lui accordent, où alors qu'on ne parle plus jamais de quatrième pouvoir ou de presse libre.

Deuxième effet Kiss Cool : Si Macron se comporte vraiment comme on nous le dit, et ne renvoie pas l’ascenseur aux médias qui l’ont aidé, c’est parce qu’il n’y a pas d’ascenseur à renvoyer. Et s’il n’y a pas d’ascenseur, c’est qu’il n’y a pas eu de campagne médiatique biaisée. C'est le vrai message de cette mascarade médiatique, nous faire croire qu'ils n'ont pas fait campagne pour Macron et que c'est justement pour cela que Macron les traite mal. Ils tentent d'effacer la bande.

Cadeau Bonux : S’il n’y a pas eu d’ascenseur, cela veut dire que Macron s’est fait seul. Valorisante pour lui, déculpabilisante pour eux, c'est une opération win-win comme dirait Laurence Parisot.

Pour revenir à Schneidermann, qui en plus de trouver le pouvoir de Macron excessif, le trouve injuste, ce dernier valide l’idée que les médias sont des victimes. Belle imposture. Nos médias sont les victimes de Macron, tout comme nous alors !?! Pour Schneidermann, nous devrions être solidaires des médias et oublier — un peu — nos critiques que diable.


1 Réflexions simplistes sur pensée complexe, Libération, Daniel Schneidermann, 2 juillet 2017.

2 Monsieur le Président, il n’appartient pas à l’Elysée de choisir les journalistes, Libération, 18 mai 2017.

3 Liberté de la presse en France: «La situation n’a jamais été aussi mauvaise depuis 2013», 20 minutes, 26 avril 2017. 2013 ! Ils sont gentils chez Reporters sans frontières.