Copié-collé : Les piliers du métier d’intervieweur politique | Acrimed

Ci-dessous, le copié-collé des cinq piliers de l'interviewer politique, proposés par Florent Michaux et publié sur Acrimed. Ce passage vient d'une analyse1 de l'interview-torture subit par Éric Coquerel, invité de « Questions Politiques » le 4 juin 20172. Nicolas Demorand, Nathalie Saint-Cricq, Françoise Fressoz, et Carine Bécard lui donnaient la question, aidés de quelques auditeurs soigneusement sélectionnés. Froid dans le dos.

Pilier 1. L’obstruction. C’est le pilier essentiel, central du métier : couper la parole avec fermeté, ne jamais laisser aboutir un raisonnement, changer souvent de sujet, si possible en repassant à chaque fois par la case « petite phrase » et polémique du moment.

En prime, on est souvent gratifié d’un certain agacement de l’invité, quand ce n’est pas le jackpot d’un franc emportement qui pourrait faire le « buzz », ce qui a toujours l’appréciable effet de rappeler le caractère radical, colérique et si peu porté à la bienséance, et donc au contrôle attendu de quelqu’un qui prétend aux responsabilités. Ce qui vaut alors démonstration par métonymie de la dangerosité de la cause défendue et donne également l’occasion de petits sourires entendus, haussements d’épaules, roulements d’yeux, sarcasmes et postures outragées au besoin (voir le pilier 4).

Pilier 2. La personnalisation à outrance : un bon journaliste politique ne doit jamais oublier que la politique n’est pas une affaire d’idées mais de personnes, ou plus exactement de personnalités dont on pourra faire le portrait à grand recours de notions de psychopathologie ou de comparatifs avantageux avec des dictateurs ou autres grands noms de la collaboration.

Pilier 3. La diffusion massive des polémiques, plus ou moins insignifiantes, salissures et autres « buzz » du moment : participer activement à la propagation des idées reçues et interprétations à charge concernant l’invité ou ses alliés. Ne pas s’embarrasser de l’éventuelle absence de fondement ou de la partialité de l’accusation dès lors qu’est entrée en résonance toute la sphère des confrères à la manière d’un tapis de bombe recouvrant tout l’espace médiatique : qu’aucun auditeur-téléspectateur-lecteur ne puisse ignorer ses derniers méfaits (réels ou supposés, insistons bien), et qu’il doive en conséquence les intégrer à la représentation qu’il se fait du triste personnage qu’on lui présente.

Pilier 4. La répartie brève par l’évidence inspirée par un bon gros sens commun (ce qui n’empêche pas de toujours bien réserver la qualification de populisme à l’invité) : face à un argument avec lequel on est en désaccord sans être en capacité d’y répondre sur le fond (au risque de trop dévoiler ses propres inclinations, ou simplement par incapacité intellectuelle), avoir recours à des interjections réprobatrices du type « mais enfin... », « voyons... », « écoutez... », et autres « on a bien compris ». Ne pas négliger de les accompagner de tons empreints de consternation et de moues accusatrices (de paranoïa, d’irresponsabilité, de complotisme), voire de se donner l’air de se remémorer avec gravité les années trente et les pires heures de l’histoire si l’occasion se présente, vous en sortirez grandi et votre invité sera symboliquement sous vos pieds.

Si le pilier trois est bien en place, ce quatrième en découle très naturellement et se déploie par la connivence que le journaliste tisse avec son spectateur sur la base des préjugés désormais bien intégrés lors des opérations de battue médiatique évoquées précédemment. Si vous avez la chance de durer assez longtemps dans le métier, vous découvrirez avec l’expérience ce que ce dernier ressort recèle d’essentiel dans vos prestations. Cela deviendra pour ainsi dire votre patte, votre griffe.

Pilier 5. Une petite astuce : si par bonheur votre émission fait intervenir des auditeurs à l’antenne ou par SMS, choisissez évidemment les questions les plus délicates, les plus sensationnelles pour pouvoir ensuite vous dédouaner de les avoir posées vous-même, et préserver ainsi habilement votre stature de grand journaliste, tout en profitant de l’aubaine pour déverser à votre tour vos éclairages.


1 De l’art de saboter une interview politique, Florent Michaux, Acrimed, Mercredi 21 Juin 2017.

2 Questions Politiques, Eric Coquerel et Julien Sanchez, France Inter, 4 juin 2017.