Comment les commentaires sont modérés ?

C'est à chaque fois la même chose, sous les articles qui mentionnent Mélenchon les commentateurs se déchaînent, c'est comme si l'ensemble des gens qui s'exprimaient, l'ensemble des lecteurs, voire l'ensemble des Français avait une dent contre lui. Bizarre, bizarre.



PierreWanadoo souffre de trop de Mélenchon, Ruffin, Trump… pour ma part je souffre de trop de Macron, et à la lecture de ces commentaires avec leur orientation mono maniaque, j'ai l'affreuse sensation que les modérateurs des sites d'informations ne font pas que modérer les commentaires, ils les réécrivent. Pas chaque commentaire bien sûr, mais le fils de commentaires tout entier, par leur travail de sélection et de censure. Fils qui n'aura in fine plus grand-chose à voir avec le fils original parce qu'amputé de tout ce qui dérange le journal.

C'est le même procédé que les micros-trottoirs sélectionnés à la tête du client d'abord, puis qui ne seront pas diffusés si les clients ne disent pas ce que les journalistes veulent entendre. Idem avec les auditeurs qui appellent les radios avec une envie pressante de parler à l'antenne.

Un superbe exemple d'envie farouche et partagée par tout le plateau de dégommer du Jean-Luc Mélenchon, dans un autre de mes billets Mélenchon n'aurait jamais travaillé, avec la fabuleuse Céline qui valide par téléphone les propos du plateau — le problème étant qu'elle le fait tellement bien que l'opération truquée apparaît comme en plein jour. Il y a parfois des ratés, comme Guillaume au téléphone en direct sur France Inter qui voulait, lui avec 66 millions de Français, gifler Valls. Brillant. Et Patrick Cohen qui sort l'artillerie lourde et dit non… à cet appel à la violence. Jouissif.

Trois effets possibles sur les lecteurs

Premier effet, les gens sont d'accord avec les commentaires. Ils pensent, et trouvent logique, que tout le monde pense comme eux. Et ça les renforce dans leur problème avec Mélenchon, selon un principe d'encouragement réciproque, d'effet de meute. Seuls, ils n'écriraient probablement pas ce qu'ils écrivent, mais encouragés par leurs pairs ils se lâchent, à un bout du continuum on trouve le concours de bite, le public de corrida qui voit du sang et qui mouille culotte, voire l'énergie du viol collectif. Parfois les commentaires sont plus ou moins de l'ordre de la haine, qui, pour toujours figurer dans certains fils, n'ont donc pas été élagués par la modération (preuve que les modérateurs sont partiaux).

Deuxième effet, les gens ne sont ni pour ni contre, bien au contraire avec ces commentaires, mais font le constat que Mélenchon est détesté par tout le monde. Leur cerveau fait le travail d'association en dédicaçant quelques neurones à cette information répétée, donc qu'il juge importante Mélenchon n'est pas aimé. C'est un peu le principe de la publicité qui enfonce un clou jusqu'à ce que les ventes augmentent. On peut parfois échapper individuellement aux messages de certaines pubs, mais on n'y échappe jamais collectivement (sinon le chiffre d'affaires du secteur de la pub et ne serait pas ce qu'il est).

Troisième effet, les gens ne se reconnaissent pas eux-mêmes ou ne reconnaissent pas leur entourage dans ces commentaires. Ils peuvent alors penser qu'il s'agit d'un pur hasard, ou bien qu'il n'y a que les contres qui s'expriment, ou bien encore que les pro-Mélenchon ne lisent pas ce journal… Bref tout un tas de bonnes raisons rationnelles qui ne passent pas par la responsabilité du média. Responsabilité pourtant évidente.

Et sur les commentateurs

Sans être du genre à voir le mal partout, il faudra poster soi-même un commentaire franchement pro-Mélenchon avec des arguments solides, voire des citations, ou encore juste un peu critique à l'endroit du journaliste par exemple, et faire le constat que ce commentaire n'a pas été publié par les modérateurs, pour concevoir que toute l'affaire est biaisée. Que ce ne sont pas les lecteurs qui ont envie de s'exprimer qui s'expriment, mais un sous-ensemble de ces lecteurs, précautionneuse-ment sélectionnés, car de l'avis du journal ou en tout cas pas contre.

Je me souviens avoir écrit un commentaire qui rappelait que Juppé était un repris de justice, sous un article de Libération qui au début de la campagne présidentielle le présentait comme le futur président ➺ commentaire supprimé ! Pourtant je n'étais pas le seul à le dire, mais ailleurs, c’est aujourd’hui Alain Juppé, repris de justice dans l’affaire des emplois fictifs de la ville de Paris qui vient apporter son soutien à la candidate UMP Nathalie Kosciusko-Morizet. Danielle Simonnet (conseillère de Paris)2.

Plus récemment, d'un autre commentaire qui expliquait que 20 Minutes nous pondait un article3 sur le kebab de Benoît Hamon, parce qu'il sera peut-être encore l'idiot utile des prochaines élections de 2022, et qu'à ce titre il fallait continuer à parler de lui, même pour ne rien dire, on ne sait jamais ➺ commentaire supprimé !

Le piège fonctionne à merveille

Un peu comme les chiens faits pour mordre le monde, sur 20 minutes tout comme sur Libération les commentaires sont modérés a priori, donc ceux considérés non conformes ne sont jamais visibles.

En fait, ça fonctionne plutôt bien pour le journal, car pour comprendre qu'il y a un loup, il faut aller jusqu'à poster un commentaire suffisamment critique pour qu'il soit refusé (ou dépublié) par la modération. La prise de conscience de ce détournement de commentaires ou de réarrangement de la réalité tient aux faits, d'avoir envie d'exercer son sens critique, associé de l'énergie pour poster un commentaire, et bien sûr d'avoir quelque chose à dire, ce qui finalement n'est pas si fréquent. Car même si tout le monde est équipé d'un sens critique, tout le monde n'a pas forcément un avis sur tout et l'envie de le donner.

Pour conclure, l'effet des fils de commentaires reconditionnés est délétère et scandaleusement manipulatoire, tout comme le sont les micros-trottoirs de la télévision ou les auditeurs au téléphone de la radio. Le danger ici, c'est que les commentaires semblent libres, et tout à chacun semble pouvoir s'adresser au monde, à la différence des micros-trottoirs ou auditeurs à l'antenne, qui impose une sélection préalable par le média lui-même. Mais en vérité, avec les commentaires, c'est du pareil au même, la sélection est toujours là.

Commentaires racistes

Rien à voir avec Jean-Luc Mélenchon ni même avec la France Insoumie, mais toujours sur 20 minutes, les commentaires suivants étaient sous l'article Un chauffeur de taxi accuse Laëtitia Avia, une députée LREM, de l’avoir mordu. Une information primordiale donc, et en plus avec buzz raciste assuré. Je rappelle que sur 20 Minutes, les commentaires sont modérés avant leur parution.

Ces commentaires sont toujours là au jour de la publication de ce billet.

Commentaires racistes, mise à jour du 24 juin 2019

En fait, non seulement 20 Minutes n'a pas retiré le commentaire raciste de Maya31, mais par contre la modération a viré les deux autres, ceux qui sont justelent critiques de la modération ! Ces gens réécrivent tout.

Petit bug dans le système de date des commentaires. 1. c'était il y a plus d'un an, et 2. an devrait être au singulier. 3. dans la bulle info ils mentionnent la date de soumission, alors que la date affichée est celle de publication.


1 Mélenchon accuse Macron d'humilier son Premier ministre, 20 Minutes, 2 juillet 2017.

2 Communiqué de presse : NKM et ses soutiens repris de justice, daniellesimonnet.fr, 6 février 2014.

3 Sur Twitter, le kebab de Benoît Hamon fait mieux que le portrait officiel d'Emmanuel Macron, 20 Minutes, 30 juin 2017.